Source : PCInpact
L'adresse IP en question
La SCPP peut être satisfaite de la position de la justice en matière de
traque aux P2Pistes indélicats. Par deux fois, la juridiction a condamné deux
internautes qui avaient mis à disposition des fichiers MP3 sur le net. Des
affaires presque classiques, mais qui apportent un éclairage important. Et
lorsque le phare s’appelle la Cour d’appel de Paris, la Société civile des
producteurs phonographiques peut s’attendre à une mise en harmonie de tous les
tribunaux français.
Le tribunal de grande instance de Paris avait estimé qu’un particulier qui
se contente de placer une copie des fichiers dans des répertoires partagés
accessibles à d'autres utilisateurs n’a pas nécessairement conscience de violer
la loi. Pourquoi ? Car il ne disposait d'aucune information pour éviter
l'usage d'oeuvres dont la diffusion n'était pas licite. Et pour enfoncer le
clou, les magistrats insistaient : « l'absence de vérification
préalable, sur les bases de données des auteurs ou éditeurs, de la possibilité
de disposer librement d'une oeuvre ne saurait caractériser une intention
coupable. » La Cour d’Appel a finalement balayé cet argument. Elle le
condamne à une amende de 1000 euros avec sursis, et à verser la somme de 1600
euros de dommages et intérêts, majorée de 1200 euros pour couvrir les
frais.
L'adresse IP, une donnée nominative personnelle ?
Mais le plus intéressant arrive : un des moyens de défense fut de
contester la légalité des constats faits par les agents de la SCPP. Connectés
sur les réseaux P2P, ils glanent des adresses IP appartenant à des internautes,
en vue de faciliter la preuve matérielle de la mise à disposition. Or,
l’adresse est-elle une donnée nominative ? Si oui, l’absence
d’autorisation préalable de la CNIL peut faire tomber toute la procédure
(celle-ci et bien d’autres).
Mais pour la Cour de Paris, pas de doute : ce n’est
« pas un traitement de données personnelles, au sens du droit de
l’informatique et des libertés ». Elle explique que seule la plainte
auprès des autorités judiciaires et l’enquête ont conduit à révéler les
noms.
Ce relevé de l’adresse IP de l’ordinateur ayant servi à l’infraction ne sert
qu’au constat de cette infraction, non à l’identification directe de l’auteur.
« Cette série de chiffres ne constitue en rien une donnée
indirectement nominative relative à la personne dans la mesure où elle ne se
rapporte qu’à une machine, et non à l’individu qui utilise l’ordinateur pour se
livrer à la contrefaçon ». En clair, 123.123.123.123 ne permet pas
de dire que les fichiers sont proposés par M. Durand Dupont.
Pas de traitement de données personnelles
Dans la seconde affaire, même issue et même son de cloche : un
internaute relaxé par des juges du tribunal de grande instance malgré la mise à
disposition de 1200 fichiers, mais finalement condamné en appel avec là encore
la légitimation du travail de la SCPP :
« L'adresse IP ne permet pas d’identifier la ou les
personnes qui ont utilisé cet ordinateur puisque seule l’autorité légitime pour
poursuivre l’enquête (police ou gendarmerie) peut obtenir du fournisseur
l’accès d’identité de l’utilisateur. L’agent assermenté n’a pas recouru à un
traitement de données personnelles qui aurait nécessité une autorisation
préalable de la CNIL puisqu’il s’est contenté de se connecter à internet,
d’accéder par un logiciel à des fichiers partagés et de recueillir l’adresse IP
grâce à un pseudonyme, ce que tout internaute pouvait faire ; dès lors, le
prévenu n’ayant été identifié que dans le cadre d’une procédure judiciaire, la
procédure est régulière. »
De son côté, la SCPP rappelle que « nos agents assermentés ne
réalisent aucun traitement automatisé de données personnelles (ou équivalent),
et qu’ils agissent uniquement dans le cadre des pouvoirs qui leur sont conférés
par le code de la propriété intellectuelle ». Exiger une autorisation de
la CNIL aurait-il été surabondant alors que ces agents sont déjà autorisés par
la loi à défendre les droits des artistes ?
La traque bientôt prête ?
Avec cette décision, en tout cas, la CNIL va devoir revoir sa
définition des données personnelles puisqu'elle considère toujours comme telle
l'adresse IP. Toutes les fondations sont maintenant coulées pour préparer la
mise en place des contrôles automatisés. Une double décision qui intervient
alors que le Conseil d’État a annulé le 23 mai dernier la décision de refus de
la CNIL interdisant la traque automatisée aux pirates.
Les ayants droit vont ainsi solliciter une nouvelle autorisation de
la CNIL qui voit, du coup, son champ d’action bien réduit. Si le relevé manuel
d’adresse IP n’est pas une donnée nominative personnelle et si la collecte de
masse de ces informations va pouvoir se faire à tour de bras, les sociétés
d’auteur auront un champ de bataille libre sur les réseaux P2P.